
Je pensais d’avoir déjà raconté l’histoire de Mme F mais visiblement non (alzheimer me guette je crois). Mon processus créatif étant très aléatoire j’ai souvent envie de te raconter des trucs mais il suffit que je ne prenne pas le temps et puis ça passe.
Bon bref pour faire court, Mme F, une trentaine d’années, qui vient d’un pays lointain. Elle a 2 enfants toujours là bas, un de 3 ans ici. Elle avait été mariée à un vieux monsieur qui heureusement est mort, on a voulu la marier à qqn d’autre, elle a fui et now elle a un nouveau mari en France, plutôt gentil visiblement.
Mme F avait 2 boulots pour économiser de l’argent pour faire venir ses enfants.
Bref. J’ai vu Mme F en septembre je crois où elle m’avait raconté tout ça et puis plus rien.
Je l’ai revue en juillet, ma collègue m’a montré 2 indications dans son dossier en silence : sa tension à 15/10 et puis « FCS à 7 mois«
Je l’ai reçue…Pendant 30 minutes, on a pleuré Félix.
Félix c’est son bébé. Mme F est tombée enceinte, tout se passait bien, c’était une grossesse voulue, désirée. Iels attendaient le bébé avec impatience. Et puis à la dernière échographie…un problème, elle n’a pas trop su m’expliquer, je n’avais pas de compte rendu mais en réalité peu d’importance…Félix avait un handicap invalidant. On a alors proposé une IMG…une interruption médicale de grossesse…on a proposé à Mme F d’interrompre la grossesse…on a proposé à Mme F de dire au revoir à Félix.
Mme F et son mari ont réfléchi pendant des jours, une semaine, elle a pensé à Félix, à son fils de 3 ans, aux 2 enfants là bas, à comment s’occuper d’un enfant lourdement handicapé avec un pronostic vital engagé et une qualité de vie quasi inexistante et continuer à travailler pour subvenir aux besoins de tout le monde, elle s’est demandée si elle n’était égoïste, ce qui était bien/mal et la décision a été prise après réexplications avec les médecins en charge du dossier.
À 7 mois, on a stoppé la grossesse de Mme F. On lui a proposé la psychologue mais avec les histoires de covid, de consultations qui n’ont pas toutes repris…ça s’est passé par téléphone pour vérifier que Mme F « avait le moral » et puis c’est tout.
Il a fallu défaire la chambre de Félix, il a fallu expliquer à l’entourage ce qui se passait, il a fallu se justifier de ce choix, il a fallu regarder les autres femmes enceintes, il a fallu vivre avec la perte.
Mme F a passé 30 minutes dans mon bureau à pleurer parce qu’elle n’avait pas d’autres espaces pour le faire. Son mari va très mal, c’est difficile pour lui d’en discuter.
J’ai demandé à Mme F quand devait être son terme, elle m’a répondu « hier« , elle m’a alors demandé « vous pensez que j’ai fait le bon choix?«
La réalité c’est que je crois qu’il n’y a pas de bon choix, il n’y a pas de choix idéal, il y a juste une décision qui aurait été bonne peu importe celle qui aurait été prise.
Dans le cas d’une IMG, le problème c’est qu’il y a le poids de la responsabilisation qui est décuplée (parce que je ne te parle même pas des dames qui se sentent responsables, coupables dans les fausses couches alors qu’en réalité ce sont des malformations, des problèmes d’implantations plus que des problèmes dépendants de la mère et du fait qu’elle a mangé bcp d’ananas la veille par exemple), parce qu’on te fait signer un papier, parce qu’au final c’est toi qui choisis…
Pendant 30 min, on a pleuré Félix, j’ai rassuré Mme F comme j’ai pu parce qu’en réalité, on nous apprend pas à gérer les pertes…
La fausse couche on s’en inquiète uniquement quand elles sont à répétition et la seule chose qu’on apprend dans notre cursus c’est le bilan biologique à réaliser après 3 fausses couches spontanées…
Le reste…QUEDAL…
L’IMG…un bref chapitre…où on t’explique que c’est en cas de malformations avec retentissement important ou pronostic vital engagé…que ça peut se faire à n’importe quel stade de la grossesse…que ça se discute en « équipe pluridisciplinaire« …on ne te raconte pas que la dame accouche de son bébé mort, on ne te raconte pas qu’on injecte qqch au foetus pour que son coeur s’arrête et que la dame le voit, le sait…on ne te raconte pas qu’on prend les empreintes de pieds et qu’on les propose aux parents…on ne t’explique pas qu’il y a un enterrement ou qqch du genre…
On ne nous apprend pas à rassurer, à expliquer…
Pendant le confinement, j’ai appris 2 arrêts de grossesses de 2 copines successives à 8-9 mois de grossesse, j’ai eu mal pour elles en me disant que bordel en fait les grossesses qui se passent bien ben franchement…c’est un coup de bol.
J’en ai parlé alors à une collègue qui m’a raconté ses 4 fausses couches qu’elle faisait à la maison parce qu’à l’hôpital en fait on ne lui faisait plus rien.
J’en ai parlé à une copine qui m’a parlé de sa fausse couche qui l’a traumatisée encore 1 an après et du fait que maintenant elle a peur de retenter…
J’ai trainé sur instagram et j’ai vu la vidéo de Juliette (coucoulesgirls) qui parlait de sa fausse couche
J’ai repensé à toutes ces femmes qu’on accusait de cacher leurs grossesses et j’ai compris.
On en a parlé avec ma mère hier et je lui ai expliqué que franchement quand tu as déjà fait une fausse couche, je peux comprendre que tu ne dises rien jusqu’à ce que le bébé soit là.
Le soir même, on a vu une vidéo de Rachida Dati qui parlait de sa grossesse qu’elle avait sécurisée parce que justement elle avait fait « tellement de fausses couches«
J’ai repensé à toutes les femmes que j’ai vu après des fausses couches, toutes celles qui me disent « oui » quand je leur demande s’il y a eu « d’autres grossesses, des fausses couches, des avortements« , toutes les histoires qu’on m’a contées…
Et puis, je me suis demandée à quel point en fait la santé des femmes n’intéressait personne pour qu’on banalise la perte, pour qu’on accompagne pas ces femmes dans ces épreuves.
« C’est bon, vous allez expulser à la maison, prenez ces comprimés et faites une échographie après«
ou pire « non mais c’est bon ça partira tout seul«
et la tristesse, elle part toute seule? on fait une écho après?
C’est comme souvent malheureusement…il faut souffrir en silence, accoucher en silence, perdre sans pleurer, souffrir des règles sans le dire et incommoder les autres, être violé.e et ne rien dire, être agressé.e par des praticien.ne.s mais ne pas s’en plaindre.
Pendant 30 min, on a pleuré Félix, Mme F m’a remerciée, m’a dit qu’elle se sentait mieux et qu’elle irait lundi sur la tombe de Félix…
Je revois Mme F à la rentrée, j’espère qu’elle ira mieux, j’espère qu’elle pleurera moins..
Love
PS: Si tu as vécu une fausse couche, IMG ou IVG et que tu le vis difficilement, (oui parce que c’est pas parce que dans IVG ya « volontaire » que c’est tjr easy à vivre…et ça sans même parler des praticien.ne.s caca que tu peux avoir croisé.e.s sur ton chemin), fais toi aider, la santé mentale est importante. Il y a des gens formés pour ça dans les plannings familiaux, dans les centres de PMI, techniquement il y a des gens qui devraient être capables d’écouter ailleurs mais je n’en ai pas la certitude.
PS2: Si tu es tombé.e sur des gens qui t’ont culpabilisé.e, j’en suis désolée, je ne peux pas m’excuser pour elleux mais sache qu’il y a des gens qui essaient de faire autrement
PS3 : Si un jour je suis enceinte, je ne l’annoncerais nulle part avant l’accouchement et très peu de gens seront au courant.
PS4 : Si tu es enceinte actuellement, ne charge pas ton esprit d’angoisses, ça va aller!
PS5 : Merci de ne pas juger les choix des gens, tu aurais peut-être fait différemment dans la situation de Mme F selon tes convictions, moyens etc…chacun.e fait avec sa réalité et tu n’es pas Mme F.
ça m’est arrivé aussi : j’ai perdu mes 3 premiers enfants du fait d’un syndrome polymalformatif récurrent. On se sent tjs responsable de la décision d’interrompre la grossesse. Pour ma part je l’ai prise en pensant à mes enfants uniquement. Ils auraient trop soufferts… Aujourd’hui j’ai 2 petites filles en pleine forme et je remercie la vie (et ma pugnacité) pour cet immense bonheur ! Même si je pense tjs à mes 3 étoiles.
Merci beaucoup pour ton partage.