
Et quand une dame m’énerve, c’est qu’il y a quelque chose à creuser…Cette dame c’était Mme A.
Alors, je te conseille de prendre une verveine pour rester calme et de prévoir les mouchoirs si tu pleures facilement.
Mme A a 38 ans, ça fait 2 ans que je la suis. Elle était venue la première fois pour que je lui pose un dispositif intra utérin, elle était en retard et elle avait un grand sourire. On avait rempli le dossier, pas de pb médicaux particuliers, 2 petites filles. J’étais un peu agacée mais j’ai tout expliqué de façon calme et posée.
C’était son 1e stérilet et sa seule question a été : « Mon mari va sentir les fils? » J’ai pas aimé cette question j’ai eu envie de répondre « On s’en bat les couilles de lui, déjà vous êtes en retard, ça va tout décaler dans ma consult » (j’aime pas être en retard et oui je dis que je m’en bats les couilles même si j’en ai pas) mais j’ai répondu « En principe non« . J’ai pas creusé…Honnêtement j’aurais pu…j’aurais du…
je lui avais donné un RDV de contrôle 2 mois après comme pour toutes mes patientes (c’est pas une reco c’est une pratique personnelle). Elle est arrivée en retard, toujours avec un grand sourire et ça m’a énervée. Elle m’a demandée de retirer le stérilet et j’ai vu rouge. Je ne sais pas pourquoi mais je me suis sentie comme une prestataire de service. (Ce qui en temps normal, ne me dérange absolument pas mais là j’étais énervée). Je lui ai donc demandé ce qu’elle voulait à la place, elle m’a dit : « Rien« , je lui ai demandé si elle avait un désir de grossesse, elle m’a dit « Non mais je n’ai pas le choix« . J’ai expliqué les autres moyens de contraception et je lui ai parlé des injections intramusculaire de DEPOPROVERA (progestatifs à réaliser tous les 3 mois). Elle m’a demandé si c’était possible de la réaliser le jour même. J’ai dit oui en râlant intérieurement, j’ai retiré le stérilet et j’ai fait l’injection. Je lui ai donné le prochain RDV 3 mois plus tard avec une ordonnance pour le prochain flacon.
3 mois plus tard elle est venue. Elle était en retard, toujours avec le sourire et n’avait pas le flacon. J’étais agacée. J’en avais dans ma réserve donc j’ai fait l’injection. Et puis elle m’a parlé d’une histoire de douleur pelvienne un peu bizarre. À l’examen, je n’avais pas grand chose alors j’ai prescrit une échographie pelvienne (meilleur moyen pour trouver ce que tu ne cherches pas).
Elle est revenue 3 mois plus tard avec l’échographie, en retard et sans flacon. Et là j’étais agacée, un peu plus, un peu trop, je ne sais pas. J’ai donc décidé d’ouvrir la porte, d’écouter mon instinct qui me disait que ce n’était pas Mme A qui m’agaçait mais autre chose. Je lui ai demandé pourquoi elle était tout le temps en retard et pourquoi elle ne ramenait jamais les flacons alors que je lui faisais toutes les ordonnances.
Mme A m’a alors raconté (et j’ai envie de chialer). Elle est venue en France pour se marier avec M.A (âge inconnu). C’était en 2005. Bon c’était pas à proprement parlé un mariage forcé mais pas non plus un mariage d’amour. Les premières années se sont déroulées sans encombres et puis les coups ont commencé à pleuvoir. Des coups sans aucune raison, enfin si l’alcoolisme de Monsieur. Madame A travaillait à l’époque dans un laboratoire de recherche donc la journée elle pensait à autre chose. Et puis un matin en arrivant au travail, elle a trouvé un carton avec ses affaires. En allant voir son directeur, elle a alors appris que son mari avait appelé son patron pour lui dire qu’il ne voulait plus que sa femme travaille pour lui. Pour éviter « tout problème » et « ne pas rentrer dans la vie privée de son employée » il a préféré payer les indemnités de licenciement plutôt que de se faire casser la gueule. Je te parle d’un truc en France et dans les années 2000. Madame A a donc été isolée, on lui a coupé les ailes. Et puis ben 1e bébé. Les coups ont continué à pleuvoir, Madame A est partie en 2014, elle a appelé le 115, des associations de femmes battues, on lui a trouvé un hébergement, loin, très loin de l’école de sa fille. Donc au bout de 15 jours et de centaines d’appels de son mari qui s’excusait, elle est retournée « chez elle« . Elle a serré les dents et a continué sa vie. Puis elle est tombée enceinte une 2e fois, une 2e fille. Là les coups ont arrêté de pleuvoir mais l’enfer a continué. M.A est paranoïaque, il pense que Mme A le trompe, si les volets sont trop ouverts c’est que son amant est venu, si elle sourit c’est qu’elle a vu son amant, si elle porte du rouge c’est qu’elle va voir son amant, elle ne peut parler à personne ni femme ni homme, si un homme lui demande l’heure dans la rue, c’est que c’est son amant, si elle a une infection urinaire c’est parce qu’elle a eu des relations sexuelles avec son amant. Mme A est tombée enceinte une 3e fois, sauf qu’elle a avorté sans lui dire parce qu’elle ne pouvait pas avoir un autre enfant dans ces conditions. Et c’est pour ça qu’elle voulait un stérilet. sauf que M.A a été mettre ses doigts dans son vagin, pas pour lui faire du plaiz mais pour voir si elle n’avait de stérilet vu qu’elle ne tombait pas enceinte. Il a menacé de lui arracher et c’est pour ça qu’elle est venue me voir. Elle voulait un moyen qui ne se voit pas donc l’injection paraissait idéale.
Elle ne peut pas me ramener les flacons parce que si elle ramène l’ordonnance chez elle, son mari risque de taper sur google le nom du produit et voir qu’elle utilise une contraception. Parce que lui bien sûr veut un autre enfant, histoire de cadenasser un peu plus Mme A.
Mme A est en retard parce qu’avant de venir, elle doit trouver une excuse pour justifier ses passages fréquents à mon lieu de travail et puis parce que M.A travaille mais ne lui dit jamais ses horaires donc des fois elle attend qu’il s’en aille et il ne part pas…Et puis il trouve que c’est bcp un rdv tous les 3 mois en gynéco et puis en plus comme il n’y a toujours pas de bébé il pose beaucoup de questions…
J’ai eu envie de chialer et j’ai compris que ce n’était pas Mme A qui m’avait agacée mais M.A.
Sur l’échographie de Mme A, il y avait des fibromes alors on a instauré un code avec elle. On dirait qu’elle vient me voir pour les fibromes qui l’empêchent de tomber enceinte (ce n’est pas vraiment vrai) et je lui laisserai l’ordonnance au travail comme ça elle me ramènera le flacon après la consultation.
Ça a marché allez 2-3 fois et puis la dernière fois, elle est venue avec sa dernière fille. J’ai refusé qu’elle rentre dans la salle d’examen (1/ j’aime pas les enfants 2/ iels touchent à tout 3/ c’est un lieu pour mes petites dames donc pas besoin d’autres oreilles). Ça a été la croix et la bannière pour que mes collègues débordées s’en occupent mais je n’ai pas cédé. Mme A a semblé soulagée et m’a demandé si elle pouvait laisser son sac dehors. J’ai pas compris mais j’ai dit ok.
En rentrant, elle s’est effondrée. Il n’y avait plus de sourire cette fois, elle m’a dit avec un profond calme « Il y a dit que s’il trouvait une preuve, il me tuerait« . Tout mon corps a frissonné. Elle m’a alors expliqué que son mari avait insisté pour que la petite vienne afin qu’elle puisse lui raconter ce qui se passait aux consultations et qu’il avait mis une application sur son téléphone pour l’espionner.
Je me suis alors demandée dans quel monde vivait-on et où était la caméra cachée.
On a fait la DEPO, je lui ai expliqué les possibilités qui se présentaient à elle et je lui ai proposé d’en parler à la directrice du centre pour qu’on puisse trouver une solution. J’ai serré Mme A dans mes bras en lui disant de ne pas hésiter à venir au moindre problème. Elle m’a dit merci.
Une semaine plus tard, la directrice m’a informé que Mme A était venue une vendredi matin après avoir passé la nuit à l’hôpital. Elle avait quitté M.A suite à une dispute pour le pot de harissa qui avait disparu du frigo « surement embarqué par l’amant qui était venu à la maison« . Mme A avait pris ses 2 filles sous ses bras, elle avait été à l’hôpital, iels n’avaient pu l’héberger qu’une nuit. Elle s’était rendue à mon travail le matin, mes collègues lui avaient appelé une association qui lui a conseillé d’appeler le 115. Le 115 lui a trouvé UNE NUIT D’HEBERGEMENT. Le lendemain, elle a rappelé l’association qui lui a conseillé d’aller aux urgences de nouveau. Mme A a donc dormi dans un abri bus avec ses 2 filles, un soir de décembre. Le lendemain, elle rentrait « chez elle » après une centaine d’appels de son mari.
Aujourd’hui Mme A est venue pour sa DEPO. Elle m’a raconté tout ça et j’ai eu les larmes à 2 doigts de couler. On a mis les mots sur la situation : VIOLS, VIOLENCES VERBALES, VIOLENCES ADMINISTRATIVES, VIOLENCES PSYCHOLOGIQUES, VIOLENCES PHYSIQUES. Mme A ne veut pas porter plainte parce que si elle n’est pas hébergée, il saura qu’elle a parlé à qqn et surement un policier HOMME, probablement son amant d’ailleurs. Mme A ne veut pas de problème, elle veut juste s’en aller et qu’il la laisse tranquille. Il lui a redit « Je décide quand tu vis, je décide quand tu meurs« .
Et moi j’ai peur que Mme A soit le 26e féminicide 2019 en France…
Sauf que j’ai appelé l’association qui n’a pas d’hébergement, j’ai appelé le 115 qui n’a plus de place, j’ai appelé l’assistante sociale qui ne peut rien faire, j’ai appelé l’hôpital qui ne peut proposer que des hospitalisations temporaires…
La plainte oui je lui en ai parlée de nouveau, mais quand je vois les 25 autres, elles avaient porté plainte, elles avaient des téléphones d’urgence et elles sont mortes…
J’en ai parlé à la directrice du centre qui m’a dit que « ce n’était pas son secteur et qu’elle ne pouvait pas tout gérer donc de voir avec celle du bon secteur« …
Quand Mme A sera morte, je lui dirai « Désolée c’était pas le bon secteur« , que c’est « dommage si seulement elle avait habité 2 rues plus loin« ?
Aujourd’hui, je me sens démunie, je me sens vide et j’ai envie d’une pause voire de changer de lieu de travail (d’ailleurs si tu connais qqn qui cherche une doc pour faire de la planification familiale, des animations et des trucs cool, tu me dis hein, s’il te plait)
Mme A m’a dit « Merci« , je lui ai demandé si je pouvais l’appeler la semaine prochaine avec d’éventuelles solutions, elle m’a dit « Non, le centre a appelé pour le rdv d’aujourd’hui et depuis il a pris mon téléphone, je vous appellerai« . J’ai été désolée et je lui ai dit et elle m’a répondu « Vous êtes la seule à m’avoir écoutée et m’avoir prise en considération« . J’ai pincé fort fort mes lèvres pour ne pas hurler, chialer, tout péter…
Je suis sortie du bureau, j’ai donné le prochain RDV dans 3 mois en priant pour qu’elle puisse venir en retard ou pas, mais qu’elle vienne.
En rentrant dans mon bureau, j’ai chialé et je me suis demandée à quoi tout cela servait d’écouter et de prendre en considération, si derrière ça n’avançait pas…
Quand une dame m’énerve, c’est qu’il y a quelque chose à creuser…Et quand une dame vient systématiquement en retard, c’est qu’il y a peut-être qqn qui l’empêche d’être à l’heure…
Peace
PS: C’est pas une blague si tu connais un endroit cool où je pourrai travailler, tu me dis stp!
PS2: Et d’un autre côté, si je pars, je ne serai pas remplacée et que deviendra Mme B…
PS3: Je sais que tout le monde est utile et que personne n’est irremplaçable mais bon moi je ne sectorise pas…et même si je ne peux pas tout gérer ben j’essaie au moins.
PS4: Après ce genre de journée…mon rituel du soir c’est foncer sous ma douche jusqu’à ce que mes doigts soient tout mous et plonger dans mon lit après un bol de lait avec BEAUCOUP BEAUCOUP BEAUCOUP DE NESQUICK.
PS5: S’il te plait, ne me dis pas à quel point je suis une personne extraordinaire de faire ce boulot parce que là tout de suite c’est pas du tout comme ça que je me sens.
j’aimerais que wordpress nous offre un autre bouton que « j’aime » ….j’ai presque « chialé » aussi !
C’est absolument révoltant!!!
Il y a toujours du monde pour s’émouvoir quand ça fini mal mais au moment où il faut agir il n’y a jamais personne et on met 10 000 bâtons dans les roues. Et c’est décourageant pour ceux qui ont envie de faire quelque chose.
Pas envie de pleurer mais clairement envie de tout casser!
C’est vraiment incroyable cette histoire et lorsque l’on se sent impuissante face à une telle situation…ce qui me dérange le plus c’est l’indifférence des un et des autres 🤔…et comme je vous comprends de vouloir changer d’horizon mais en même temps je vous félicite d’être cette personne dotée d’empathie.
Je vote pour le bouton « émotions ressenties »
C’est effectivement rageant et révoltant et assez décourageant mais comme je dis à d’autres « ce n’est pas parce que ça n’a pas encore fonctionné qu’il ne faut pas encore se donner à fond ». J’espère que les choses changeront que ce soit pour Mme A ou pour toutes les autres…
C est tellement emouvant. Attristant. Parfois je me plains. Et en te lisant, je me dis que je n ai pas le droit. 💔
😦
Je viens seulement de découvrir ton article, tu as des nouvelles de cette dame ? Cette histoire me brise le coeur autant qu’elle me révolte… à quoi ça sert de faire des campagnes de sensibilisation si les moyens ne suivent pas derrière ? Nos vies ont-elles dont si peu d’importance ?
Oui j’ai des nouvelles de cette dame, elle est venue me voir début juin. Je lui ai annoncé que je quittais le centre, elle a décidé de me suivre où j’allais. On a remis l’assistante sociale et une association dans le circuit pour préparer le départ une fois l’école de sa fille ainée terminée…le problème restant qu’elle ne veut tjr pas porter plainte et du coup M.A garde l’autorité parentale et aura un droit de visite et pourra même faire pression (voire kidnapper les enfants…bon ça c’est mon scenario catastrophe je n’en sais rien)…dc on attend le coup de fil de l’association pour lui dire qu’iels ont trouvé un hébergement. Cette histoire m’a donné envie se tout arrêter parce que même quand on est motivé.e, qu’on connaît les solutions, qu’on frappe à toutes les portes…souvent ça ne change rien. Oui il y a des campagnes de sensibilisation mais les hébergements sont saturés selon les régions, les associations sont débordées et le système un peu plombé mais les choses bougent doucement mais ça bouge. Pour Mme A, j’ai espoir que d’ici cet été son enfer s’arrêtera…alors je croise les doigts.